Le Gang des Petites Voleuses de Grosses Fraises.
Par Ariane Lumen. Saint Georges de Montclard.
Ndlr : pour préserver l’anonymat, les noms de personnes et de lieux ont été modifiés
Extérieur jour. Après-midi d’un faune. Rase campagne. Ambiance Lolita.
Manquant de vin rouge pour le repas de midi, j’envoie ma grande fillette de 9 ans à l'épicerie locale pour y acheter une bouteille de vin rouge à 11% volumétriques. Le détail a son importance. Soit 150 cl d’un excellent vin de la Communauté Européenne, dont l'abus nuit si gravement à la santé. Le vin, pas l’Europe.
Je lui confiais 3 € pour l’achat d’une bouteille de cet affreux picrate qui coûte 2,50 €. Les 50 centimes restants devaient servir à l'achat de quelques bonbons pour elle et sa petite sœur de 7 ans, un stimulant matériel sans lequel les deux petites garces n’y seraient jamais allées.
En agissant de la sorte, je voulais complaire à mon compagnon de beuverie habituel - le compagnon, pas la beuverie… connu pour son alcoolisme notoire et dont le fournisseur régulier ne vient que le soir, quand les gosses sont endormies. Je comptais ainsi soutenir le monde viti-vinicole dont on connait les difficultés, ainsi que le commerce local dont on ne saurait nier ni la nécessité ni les bonnes intentions.
La vente d'alcool aux mineurs de 18 ans est formellement prohibée par la loi, la susdite loi étant par ailleurs réglementairement affichée dans la susdite épicerie. Au courant de tout cela, bien sûr, je me dis qu'il y a la loi et l'esprit de la loi. Puis le penchant éventuel de mes filles pour le vin rouge de qualité douteuse n'étant pas vraiment avéré, je les fais accompagner par la grande fille de la voisine, 10 ans révolus, qui doit y acheter une barquette de fraises à 2,50 euros.
L'épicerie et son étalage de fruits et légumes où trônent les délicieuses et fameuses barquettes de fraises, sont une véritable invitation au banditisme de haut vol. Pendant que les deux grandes entrent dans le magasin pour y faire leurs emplettes, la malheureuse petite reste dehors. L’occasion, l’herbe tendre et quelque diable aussi la tentant, elle picore discrètement une petite fraise pour la goûter. Probablement, dans le but de tester la redoutable qualité des fraises dont nous savons tous qu'elles sont bourrées de pesticides. Mais ce faisant, elle se hisse, à son corps défendant, au rang des pires truands et brigands du pays.
Bref, ma fille se prend pour une consommatrice avertie ou pour une militante des Brigades Fruits Rouges. Elle goûte une fraise, le fruit interdit, ce qui est parfaitement autorisé par la législation et toléré même dans le Grand Commerce. Elle m'a déjà vu le faire dans les supermarchés où son père goûte toujours le vin avant de l'acheter, sauf quand il est mauvais. C’est d’ailleurs comme ça qu’il sait que le vin est mauvais.
Mais L'épicière chafouineuse se rend compte de l’épouvantable forfait. Elle jaillit sur la place et réprimande fortement ma fille de sept ans en la traitant de voleuse, ce qui met la pitchounnette en pleurs à cause d'une éventuelle grosse punition à la maison. Et voilà que ces trois fillettes innocentes comme l’agneau qui vient de naître se font toutes les trois traiter de voleuses, l’insulte suprême.
Elles reviennent en pleurs à la maison avec une barquette de fraises entamée, pour la voisine, et ma grande fille sans la bouteille de vin. Et il ne lui reste que 50 cents, car l'épicière margouline est partie du principe que qui vole une fraise vole une barquette. La démesure, en somme : qui vole un œuf vole un bœuf...
Et qui vole un bœuf est très fort.
Cela méritait mon déplacement à l'épicerie accompagné par ma voisine. Du coup L'épicière fielleuse me félicite de mon sérieux en matière d éducation des enfants. Et rétorque qu'elle a - dans une autre vie sans doute - élevé des enfants de la DASS, en l' occurrence des enfants qui souvent avaient des parents alcooliques, et qu'elle s'y connaissait, en enfants sans doute… Et en parents alcooliques.
Je reste ahurie devant autant de compétences. Et je me rends compte à quelle point je suis nulle en éducation...
Il reste quoi de cette histoire ?- une fille de sept ans carrément traumatisée pour ne pas avoir résisté à la tentation de goûter un fruit défendu, quoique autorisé par la loi, de s’être faite traiter de voleuse ainsi que ses sœurs et sa copine par une adulte qui se dit expérimentée. D'être coupable d'un acte de grand banditisme, la grivèlerie !**
Mais faisons confiance à notre commerçante, cet enfant une fois plus grande se méfiera comme de la peste des autres commerçants même les moins rigides ! C'est ainsi que jeunesse se passe. Comme un paquet de clopes.
Quelle famille !
Qui vole une fraise
Chagrine Sainte Thérèse
Celle qui pleure quand.
Enfant prometteur, comme sa mère...
qui ramène souvent sa fraise
et souffle sur les braises quand elle.
Félicite-la de ma part et offre-lui un œuf Kinder !
Rappelle-lui : 5 fruits et légumes par jour.
Lis-lui ce soir La Ronde de la Grenade...
Christian
Voleur de poules